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LE SNIPER DU WEEK-END (bloc-notes en accès libre)
La chasse aux sorcières vient de vraiment commencer pour les marques qui opèrent encore en Russie

Huitième Sniper de l’année 2023 : on va donc vous parler, entre autres, d’un arnaqueur arnaqué, des malheurs d’un contre-terroriste repenti, de l’art de repenser le CPO et d’enchères décevantes – on en oublie, mais vous retrouverez tout ce petit monde dans les notes ci-dessous. Les qualités d’un bloc-notes selon l’excellent Sylvain Tesson ? « Les blocs-notes sont des coups de sonde, des carottages donnés dans le chatoyant foutoir du monde ». Bloc-notons donc dans le chatoyant foutoir de l’horlogerie…


FUMAISON (1)…

Retour sur les fabuleux stocks accumulés par le Swatch Group et justifiés par Nick Hayek comme des « stocks de sécurité » – ce qui a fait hurler de rire toute la profession, mais sans vraimet indigner les analystes qui ont écouté avec componction cet enfumage supplémentaire de Titanick ! 6,9 milliards de stocks, quand on fait 7,5 milliards de chiffre d’affaires, c’est proprement insensé : n’importe quel économiste vous le dira ! Surtout quand ces stocks augmentent de 7 % (par rapport à 2021), alors que les ventes n'ont progressé que de 2,5 % ! C'est encore plus fou quand on sait que les 538 millions de stocks supplémentaires ont immobilisé des ressources considérables et qu’ils sont largement constitués de diamants, de pierres précieuses et d’or métallique [achats de précaution superflus], dont le Swatch Group ne fait qu’un usage modéré du fait de ses piètres performances sur le marché de joaillerie – en particulier avec la maison Harry Winston, qui est la seule marque de haute joaillerie sur cette planète à ne pas être en croissance... Mais il y a plus grave que ces fanfaronnades de Nick le Sécuritaire…

FUMAISON (2)…

En admettant (hypothèse basse) que 25 % de la valeur de ces stocks soient des « charges de matières » par rapport aux ventes, il faut comprendre que ces 6,9 milliards admis dans le bilan du groupe correspondent à peu près à… 28 milliards de ventes – soit quatre fois les ventes annuelles du groupe ! Il y a un loup : soit le groupe anticipe une progression hallucinante de ses ventes [est-on obligé de le croire ?], soit ces stocks sont furieusement surévalués pour d’obscures raisons comptables [qui se résument sans doute à la nécessité de présenter des résultats positifs, ce qui serait loin d’être le cas sans la survalorisation abusive de ces stocks]. Un indice : les entrepôts du Swatch Group croulent sous les stocks – de sécurité, bien sûr – de millions de montres Swatch et des autres « petites marques » du groupe, invendues depuis des années [et à peu près invendables, même à 10 cents le dollar], mais toujours comptabilisées à une valeur de marché aussi fictive qu’irréaliste. Sans ce fallacieux « trésor de guerre », comptabilisé comme un actif tangible alors qu'il ne vaut à peu près rien, les comptes du Swatch Group seraient allègrement dans le rouge : on se demande ce qu'attendent les analystes pour s'en soucier – mais on sait qu'il ne faut pas désespérer les petits actionnaires de Bienne, qui restent persuadés que l'action d'un groupe piloté par Nick Hayek est une valeur de père de famille...

FUMAISON (3)…

Oublions un instant cette cosmétique comptable. Les lecteurs de Business Montres ont compris récemment que, sans les profits de l'opération MoonSwatch, les comptes 2022 du Swatch Group auraient été gravement plombés (Business Montres du 26 janvier). En analysant le bilan et en connaissant un peu mieux que la plupart des analystes le dessous des cartes [nos sources internes sont excellentes], on découvre que les profits réels du groupe n'ont reposé en 2022 que sur les apports décisifs de marques comme Omega [c'est la vache à lait traditionnelle du groupe] et, exceptionnellement, sur les apports de Swatch. En 2022, certaines des marques phare n'ont que très peu contribué à ces profits (Tissot, Longines, par exemple), mais la plupart des autres étaient dans le rouge (Breguet, Blancpain, Harry Winston, etc.), parfois à des niveaux abyssaux qui affoleraient tout le monde si les déficits n'étaient pas comblés ou comptablement compensés par les super-bénéfices d'Omega ! Mystère : pourquoi personne ne demande-t-il à la direction du groupe de déconsolider et de désinvestir – un peu à la manière dont Kering a préféré se défaire de marques comme Girard-Perregaux et Ulysse Nardin qui ne pouvaient plus répondre aux ambitions du groupe ? Les « petits actionnaires » – mais également les « gros zinzins » (investisseurs institutionnels) – ont-ils conscience de la tragique destruction de valeur qui s'opère sous leurs yeux et qui les prive de dividendes qui seraient autrement plus substantiels si les revenus d'Omega n'étaient pas reversés dans le tonneau des Danaïdes d'une bonne dizaine d'autres marques sans grand avenir ? Urgent : SOS analystes courageux...

DÉCONSTRUCTION…

Qui en veut à Mike Horn, ambassadeur horloger passé ou présent de plusieurs marques ? Éclairé par une enquête récente de « Temps présent » (Radio-télévision suisse), son passé militaire dans l’ex-bataillon 101 de l’armée sud-africaine [on savait qu’il y avait fait son service militaire dans cette unité de contre-insurrection, avec de brillants états de service] plaide pour son courage physique, mais pas forcément pour sa délicatesse éthique : du temps de l’apartheid, la chasse aux « terroristes » n’encourageait pas les états d’âme ! Ce qui peut expliquer, aujourd’hui, une certaine absence de courage moral quand il se défausse : « J’ai strictement obéi aux ordres qu’on me donnait. Je n’avais pas un amour particulier pour le régime de l’apartheid, je n’ai fait que remplir mes devoirs civiques. (…) Il est clair qu’aujourd’hui, je regrette d’avoir participé à ces opérations, bien que j’assume parfaitement tout ce que j’ai fait dans la vie ». Le sympathique Mike Horn était un des « héros » favoris d’une horlogerie musclée dont il risque désormais d’être banni sous la pression des inquisiteurs wokistes – d’autant que le débat connaît à présent des rebondissements politiques dans le canton de Vaud, où le Conseil d’État est désormais directement sous pression

SPÉCULATION (1)…

Résultats mitigés pour les montres de collection, lors de la première vente aux enchères de l’année (Monaco Auction Week). Si Artcurial affiche un score total de 7 millions d’euros (montres, bijoux et sacs à main), quelques détails de ce bilan ont de quoi tracasser les amateurs. Si on peut apprécier les 250 000 euros payés pour un lot de 14 Rolex Oyster Perpetual en acier [les trois tailles dans toutes les couleurs de cadrans : un lot complet qu’on ne reverra pas de sitôt – ci-dessus], il est évident que cette adjudication relève plus de la spéculation pure que de la collection. D’autres enchères inquiétent : Artcurial misait beaucoup sur le tourbillon souverain F.P. Journe estimé 400 000-800 000 euros : l’estimation haute aurait sans doute été dépassée il y a un an, mais l’enchère n’a été poussée qu’à 367 000 euros pour cette montre en ruthénium réalisée en 99 exemplaires.

SPÉCULATION (2)…

Même déception pour la superbe montre de poche Audemars Piguet x Gübelin de 1924 (ci-dessus) : estimée 200 000-300 000 euros, elle a été ravalée alors qu’Artcurial en faisait grand cas. D’autres exemples annoncent un marché qui ne s’en laisse plus compter et qui révise sérieusement à la baisse ses coups de cœur ! Et qui fait preuve de circonspection : on évitera ainsi de s’extasier sur les 47 000 euros de l’enchère concernant une bien belle Breguet Type 20 de 1955 (ci-dessous) – presque trop belle avec sa lunette cannelée pas forcément d’époque, cette montre a été adjugée au musée Breguet, ce qui est une manière discrète d’en soutenir la cote…

RÉORGANISATION…

La ruée des grandes marques vers la réorganisation de leur marché de seconde main s’appelle désormais CPO (acronyme de Certified Pre-Owned). Rolex ayant décidé d’intervenir – via Bucherer – sur ce marché, tout le monde s’accorde à considérer que ce sera le prochain relais de croissance. Certaines marques, pionnières dans ce domaine, sont en train de réviser leurs positions et de reconsidérer les structures déjà mises en place, notamment Audemars Piguet, qui semble tirer les leçons de la difficulté où se trouvent ses espaces de ventes spécialisés dans le CPO. C’est le prochain – et sans doute le dernier – chantier de François-Henry Bennahmias, dont le départ est toujours officiellement agendé pour la fin de l’année, mais dont on aura remarqué que le successeur est encore loin d’être désigné [tout ce qu’on sait, c’est que ce n’est plus « Loulou »]

COMPLICATION…

Apparemment, le torchon entre les associés de la bande organisée réunie autour du projet Aion. Nos lecteurs se souviennent certainement de ce qui restera comme la plus magnifique tentative d’arnaque de l’année 2022 : il s’agissait de rassembler un tour de table horloger (marques et investisseurs) pour mettre en place, sur la Côte-d’Azur, une manufacture horlogère de 10 000 mètres carrés avec vue sur la mer, au cœur d’une parcelle de 30 000 mètres carrés, avec des équipements capables de produire 400 000 mouvements mécaniques par an et des projets d’embauche portant sur 160 opérateurs. Faute d’y croire [contrairement à un certain nombre de nos chers confrères, joyeusement tombés dans le panneau : si, si, on a les noms !], nous avons mis en garde la communauté horlogère : « Alerte rouge : une fabuleuse arnaque est en préparation » (Business Montres du 9 mars 2022, accès libre). Ce coup de semonce – étayé par quelques découvertes ahurissantes dans les statuts et les documents financiers du projet, avait apparemment suffi à calmer les ardeurs des malfaisants associés ou piégés [au bénéfice du doute] dans cette opération. On apprend maintenant que la guerre fait rage entre les Pieds-Nickelés, le plus mirobolant d’entre eux [celui qui avait réussi à faire valoriser pour près de vingt millions d’euros un apport de machines qui n’en valaient le vingtième] accusant ses petits copains de l’avoir escroqué. Propos de spécialiste, sans doute, mais, entre fins connaisseurs de la carambouille horlogère, on a tôt fait de repérer l’arnaque dans l’arnaque. On attend maintenant l’envolée du prochain pigeon médiatique qui tartinera sur cette « horlogerie française qui veut concurrencer l’horlogerie suisse » [citation véridique d’un article publié en Suisse au sujet de cette fantastique manufacture azuréenne !]

COMPARAISON…

Certes, ce n’est pas raison, mais on peut s’interroger sur le rapport qui existe entre les résultats d’une marque (ou d’un groupe de marques) et sa politique commerciale. Quand l’horlogerie Richemont plonge de 5 % au dernier trimestre en perdant des parts de marché [pas de souci, tout va très bien, Madame la marquise !] et que Breitling – marque à peu positionnée sur le même créneau – est en croissance du double en raflant toujours plus de parts de marché, on se demande s’il ne faut y voir un rapport entre la concentration des marques Richemont sur leurs propres boutiques et leurs ventes en ligne et la confiance accordée par Breitling à ses partenaires détaillants pour ouvrir des boutiques et des points de vente. Champagne ici, soupe à la grimace là : la stratégie commerciale décidée chez Richemont par Jérôme Lambert et mise en œuvre par Emmanuel Perrin commence à faire désordre…

RÉPRESSION…

Le polar de la saison, celui qui devrait passionner les cryptomaniaques de l’horlogerie et tous les toqués du token horloger, c’est la traque internationale de la flamboyante Ruja Ignatova, la « reine de la crypto », en fuite après avoir détourné quatre milliards de dollars et désormais placée dans la short list des dix personnes les plus recherchées par le FBI américain [elle est d’ailleurs la seule femme à figurer dans ce Hall of Fame du crime : ci-dessous]. Combien d’horlogers a-t-elle arnaqué avec sa crypto-monnaie OneCoin ? On ne le saura probablement jamais… On la dit protégée par des mafieux est-européens, mais il n’est pas impossible qu’elle soit déjà au fond d’un lac, avec de solides souliers de béton. On lira avec profit les aventures de la pulpeuse Ruja dans un récent article de CNN Business : c’est édifiant sur la bêtise des crypto-adorateurs…

STIGMATISATION…

À défaut de pouvoir gagner la guerre sur le terrain contre la Russie, l’Ukraine entend bien gagner la bataille de l’opinion et de la communication sur la scène internationale. La chasse aux entreprises qui opèrent encore officiellement en Russie est activée aux États-Unis à partir du site ukrainien War & Sanctions, qui met la pression sur les récalcitrants en ameutant les réseaux sociaux sur ceux qui sont soupçonnés de « soutenir la Russie en guerre » [définition large qui autorise tous les chantages]. Plusieurs universités américaines sont mobilisées : elles ne devraient plus tarder à s’intéresser aux marques horlogères (suisses et européennes) qui n’ont pas abjuré leurs relations avec le marché russe. On sait que ces marques de luxe sont très sensibles à tout ce qui touche à leur image…

LIQUIDATION…

Le sort s’acharne donc sur la maison Klokers, liquidée par la seconde fois en moins de trois ans – même si ce n’est pas pour les mêmes raisons (Business Montres du 25 janvier). Reste une excellente question : serait-il réaliste de relancer une marque à ce point marquée par le destin ? Si Klokers a toute sa place dans le paysage horloger, la fenêtre de tir ne s’est-elle pas refermée pour un concept horloger aussi pointu ? Ne vaudrait-il mieux pas affecter à une projet novateur les ressources qu’on mobiliserait pour une relance de Klokers qui aurait de toute façn !n air de déja-vu ? Utile à relire : « La preuve par Klokers : le succès d’un sociofinancement ne fait pas forcément émerger une marque viable » (Business Montres du 5 juillet 2019)…

SÉLECTION…

Nous avons repris dans ce bloc-notes, la bonne vieille habitude du Sniper, celle du « dessin du jour », qu’on pourra retrouver dans notre dernière chronique « Horlotainment #19 » (Business Montres du 24 janvier). « Le vrai danger, avec les impitoyabkles carriéristes qui verrouillent le top management de notre groupe, ce n’est pas qu’ils soient bons à rien, mais qu’ils soient absolument prêts à tout » : vous voulez des noms, mais vous voyez certainement de qui nous voulons parler ?

 

❑❑❑❑ SANS OUBLIER (1) : « Encore une ligne de cocaïne chinoise ? – le nouveau culte du cargo » (Business Montres du 24 janvier)

❑❑❑❑ SANS OUBLIER (2) : « Vous préférez le lapin très fin ou le lapin crétin ? » (Business Montres du 7 janvier)…

❑❑❑❑ SANS OUBLIER (3) : on relira aussi notre mise en perspective de 2023, avec « Les dix croyances absurdes qui risquent de plomber gravement 2023 (première partie : Business Montres du 5 janvier – deuxième partie : Business Montres du 11 janvier)…


Coordination éditoriale : Eyquem Pons



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