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SANS FILTRE #38 (accès libre)
Les crétins de Baselword n’ont définitivement rien compris

Genève a gagné la partie, et après ? S’il est évident que le groupe MCH, qui pilote Baselworld, a échoué sur toute la ligne, et sans doute de façon irrémédiable, il faudrait aussi se demander si la communauté de l’horlogerie peut se contenter du seul rendez-vous professionnel organisé pour les marques en terre genevoise. Les marques, c’est bien. Les montres, c’est mieux ! Explications…


Certes, nous avons un peu forcé la main de Baselworld en révélant, dès jeudi midi, que l’annulation du salon 2022 était acté (Business Montres du 11 novembre). On remarquera au passage que pas un seul de nos élégants confrères des médias perroquets n’a mentionné que nous avions été les premiers à donner l’alerte [il était plus prudent d’attendre le communiqué officiel, dont nous avons accéléré la publication]. Dans cette alerte, notre conditionnel de prudence s’expliquait en partie par le fait que le groupe MCH, opérateur du salon, est une société cotée, donc sensible à tout ce qui pourrait relever du délit d’initiés : nos lecteurs savent néanmoins décoder ce qui signifient nos informations « non officielles et non autorisées ». D’autre part, nous entendions protéger au maximum l’équipe de Baselworld, anéantie par les comportements aberrants de l’actionnaire du salon, ce groupe MCH qui a si malproprement « viré » tout le monde sans le moindre ménagement, direction comprise [on comprend que Michel Loris-Melikoff, l’ex-CEO de Baselworld, ait préféré claquer la porte sans attendre pour voguer vers d’autres cieux]. Nous ne regrettons rien de ces révélations : tant mieux pour nos lecteurs, qui ont profité avant tout le monde de l’information. Il fallait une clarification : le groupe MCH a bien été obligé de réagir avec l’épée dans les reins…

Le problème de cette réaction provoquée, c’est qu’elle prouve à quel point les dirigeants du groupe MCH n’ont décidément rien compris – mais alors rien de rien ! On reste pantois devant un tel déni de réalité. Face à autant d’inconscience, on se pince pour y croire. Victime de ses propres dérives somptuaires et d’une arrogance quasi-génétique qui n’a jamais cessé de lui faire choisir les mauvaises options au mauvais moment, la direction du groupe MCH n’a pas voulu voir venir la sanction du marché et elle est toujours restée sourde aux avertissements. Pourtant, nos lecteurs peuvent en témoigner, année après année, Business Montres a pointé du doigt les dangers de ces dérives dès 2015-2016 [les illustrations de cette page en sont le souvenir], quand il était encore temps de donner un coup de barre. Dès la rénovation des grandes halles, le ver était dans le fruit et le processus toxique engagé, la direction d’alors ne semblant vouloir rien entendre de la grogne des exposants excédés de n’être plus considérés que comme des vaches à lait taillables et corvéables à merci.

En 2018, avec l’arrivée aux commandes de Michel Loris-Melikoff, un peu d’espoir subsistait malgré tout dans un océan de scepticisme. Comme nous l’avons écrit à de multiples reprises, il était encore réaliste de « sauver le soldat Baselworld » (Business Montres du 27 mars 2018). Et il le fallait. Sauf que le logiciel mental des actionnaires de Baselworld ne connaît qu’un mode verbal, le passé (décomposé) : il ignore le futur tout comme il a du mal à s’exprimer au présent. Sans doute un idiomatisme suisse alémanique ! La suite du scénario était écrite d’avance, la pandémie ne faisant que parachever le processus d’autodestruction et d’implosion de Baselworld. Dès 2020, en dépit des efforts parfois héroïques de Michel Loris-Melikoff, qui n’a cependant jamais eu l’audace de trancher dans le vif, la messe était dite : « Après tout, est-ce qu’il faut vraiment sauver le soldat Baselworld ? », se demandait Business Montres (7 mars 2020). La réponse était évidente pour toute la communauté horlogère : Baselworld n’était plus dans Baselworld, mais la direction du groupe MCH était la seule à ne pas l’avoir compris. On a tiré la dernière cartouche avez l’étrange apparition de Baselworld à Genève [pourquoi pas, après tout ?] pendant les récents Geneva Watch Days de septembre 2021. Depuis, silence radio jusqu’aux récentes révélations de Business Montres et au communiqué imbécile de MCH…

Là, on a touché le gros lot – ou, plutôt, on a touché le fond ! Plus que jamais dans le refus du réel, la direction de MCH, par la voix de son CEO, l’ineffable Beat Zwalhen [que nos ancêtres paysans diraient « aussi franc qu’un âne qui recule »], nous parle de l’annulation de l’événement physique Baselworld 2022, parce que… « la relance de Baselworld prendra plus de temps ». Waow, quelle audace ! Entre le printemps 2020 [dès le mois de janvier, alors que personne dans l’horlogerie ne semblait encore avoir pris la mesure de la « chronapocalypse », Business Montres avait posé la question de l’annulation des salons du printemps] et le printemps 2022, il se sera donc passé vingt-quatre mois pour que Baselworld prenne son temps. Deux ans de perdus et trois salons annulés. C’est la faute de personne : « Cette décision, nous explique Beat Zwahlen, a été prise pour deux raisons. D'une part, elle se fonde sur l'expérience acquise lors du Pop-Up Event des Geneva Watch Days et sur des discussions intensives avec les marques et les détaillants. D’autre part, elle tient compte du fait que le lancement d’un nouveau concept pour un nouveau segment cible est particulièrement difficile compte tenu de la nouvelle aggravation de la situation du COVID et de l'incertitude qui en découle chez les clients ».

La suite s’annonce délectable, mais on ne peut malheureusement pas dire ce qu’on en pense vraiment : ce serait trop grossier ! « Au cours des derniers mois, nous explique le groupe MCH, nous avons examiné de manière intensive notre écosystème de montres, de bijoux et de pierres précieuses et nous avons tiré des enseignements importants des discussions avec les principaux représentants du secteur. Notre conclusion : le marché pour une plateforme B:B:C mettant en relation des marques spécialisées et de taille moyenne avec des détaillants indépendants existe. Mais ses besoins doivent être analysés plus précisément. Nous nous devons de prendre beaucoup plus de temps pour cela. Dans les mois à venir, une équipe interdisciplinaire de MCH Group analysera donc les segments cibles et, dans le cadre d'un échange étroit avec les marques et les détaillants, approfondira leurs besoins en matière de marketing et de distributions. Dans ce contexte, une attention particulière sera accordée aux dernières tendances en matière de marketing et de distribution dans un monde post-pandémique, notamment l'internationalisation et la numérisation. L'objectif est toujours de créer une valeur ajoutée pour les activités commerciales de la communauté sur ses marchés cibles, grâce à des plateformes innovantes et à la marque Baselworld, ancrée au niveau international ».

Un vrai championnat de « langue de bois » managériale, totalement déconnecté de la réalité et des attentes de la communauté horlogère. Avec de tels dirigeants, on comprend que le groupe MCH soit allé droit dans le mur – avec Baselworld à la place du mort. « Encore des mots, toujours des mots, les mêmes mots », comme le chantaient Dalida et Alain Delon (Paroles, paroles). On nous promet mollement un retour de Baselworld en 2023, avec des « marques spécialisées de taille moyenne » – ce qui ne veut rien dire, surtout pour un salon qui n’avait pas su, en deux ans, retrouver plus d’une vingtaine d’exposants horlogers pour le suivre, sans la moindre marque locomotive pour stimuler le visitorat potentiel. Au risque de désespérer la direction de MCH, mettons une fois de plus les points sur les « i »…

❑❑ Genève a définitivement gagné la partie pour ce qui concerne l’organisation d’un salon de printemps pour les professionnels de l’horlogerie. Ceci à court comme à moyen et long terme : pour les années 2020, c’est à Genève que ça se passera, pour le meilleur comme pour le pire, dans une floraison anarchique et brouillonne de salons qui vont se marcher sur les pieds, avec un calendrier chaotique pas encore clairement stabilisé…

❑❑ Pour Genève, tout va se jouer au printemps 2023, l’année 2022 restant une année de transition. Les halles de Palexpo devraient s’ouvrir en 2023 à différentes initiatives, dont la plus crédible pour les marques horlogères reste l’ancien pôle SIHH-Watches & Wonders, qui devrait logiquement changer de nom pour s’instituer à nouveau en salon de référence international pour toute la communauté de la montre. Il est évident que les marques investiront dans ce qui se passera à Palexpo et dans Genève – mais plus du tout à Bâle. Ceci dans l’hypothèse où les évolutions du marché n’auront pas condamné aux oubliettes les salons professionnels du « monde d’avant »…

❑❑ Bâle a définitivement perdu la bataille pour ce qui concerne l’organisation d’un salon professionnel pour la communauté horlogère, mais Bâle n’a pas forcément perdu la guerre. Toute l’horlogerie conserve une certaine nostalgie des printemps bâlois, avec leur lot de folklore dans la rapacité rhénane, d’émotions « mammifères », d’extases mécaniques, de pressions alcoolémiques ou même de tensions sexuelles [combien de couples, y compris des plus célèbres, se seront formés à Bâle ?], mais plus personne ne veut reprendre la vie commune avec les prédateurs locaux. Plus personne ne veut repasser sous les fourches Caudines d’une organisation qui comptait les mètres carrés de béton quand tout le monde songeait à partager une passion. Trop, c’est trop…

❑❑ Bâle n’a pas forcément perdu la guerre pour ce qui est des montres – et non des marques, qui vont triompher à Genève au moins pour une décennie. C’est justement de ne pas avoir compris la différence entre marque et montre que Baselworld a fini par mourir. Le marché a changé. Le « monde d’après » n’est plus le « monde d’avant » – tautologie qui masque des basculements irréversibles, avec des gouffres qui se creusent et des effondrements imprévisibles. Le monde horloger de demain ne sera plus forcément articulé autour des marques qui en sont aujourd’hui l’ossature : si le marché primaire piétine aujourd’hui avec un taux de croissance qui ne dépasse guère 3 % à 4 % par an [ce qui est déjà formidable, quoique cela se fasse au prix de reclassements tragiques pour certaines marques], le marché secondaire – celui des montres de seconde main – voit l’accélération de sa croissance annuelle bientôt rattraper, puis dépasser le marché primaire. Sur ce marché secondaire, on parle de montres plus que de marques, même si les prix sont décorrélés de la valeur catalogue officielle de ces montre (à la hausse comme à la baisse). On est donc effondré de voir Baselworld et le groupe MCH s’entêter dans leur rêve absurde de voir revenir un jour les grandes marques qui avaient fait la gloire du rendez-vous bâlois. Une page s’est tournée définitivement, autant en prendre acte…

❑❑ La seule porte de sortie pour Baselworld [qui reste un mythème puissant, même si la « marque » bâloise a perdu de son lustre dans la sphère des praticiens de la montre], c’est justement de ne plus se penser en référence professionnelle, mais en matrice passionnelle pour les amateurs de beaux objets du temps. Face à la Genève qui polarise l’industrie horlogère, Bâle peut se poser en « Mecque » de la montre, en salon grand public capable d’aimanter une fois par an la communauté des amateurs autour d’un objet mythique comme la montre. Les exposants ne manquent pas : ce sont les puissances émergentes du marché secondaire (Chrono24, Watchbox, Chronext et les autres acteurs de cette montée en puissance digitale et physique, y compris les acteurs de niche de type A Collected Man ou Loupethis), mais aussi les maisons d’enchères, et ils valent bien, pour démarrer, les « marques spécialisées de taille moyenne » qui ne veulent plus mettre les pieds à Bâle. Le reste n’est qu’une affaire de marketing pour orienter vers Bâle de nouveaux flux de visiteurs et d’acheteurs passionnés par des montres qui seront disponibles, alors qu’elles ne le sont plus en boutique. Concédons que tout ceci aura par endroits un certain côté Grand bazar d’Istanbul, mais gageons que, si le public est au rendez-vous [après tout, Bâle est au cœur de l’Europe, où la demande reste forte, au carrefour de trois pays qui sont des berceaux de l’horlogerie : Suisse, France, Allemagne], les marques reviendront un jour pointer le bout de leur nez là où sont leurs clients – et d’autant plus volontiers qu’elles prennent aujourd’hui conscience du potentiel de leur patrimoine et qu’elles se soucient d’organiser le marché complémentaire de leurs montres certified pre-owned

Vox clamantis in deserto ? Sans doute, et c’est parfois désespérant, mais le réel finit toujours par l’emporter : en ignorant tous les signaux d’alarme, Baselworld annonçait le Baselcrash, puis le Balexit. Il faut à présent réenchanter les salons horlogers, pour les professionnels comme pour la communauté des passionnés de montres. Si MCH n’entend rien à Bâle et ne comprend rien à l’avenir de l’horlogerie [ce qui semble bien être le cas], d’autres opérateurs moins obtus prendront la relève pour mettre en place ce salon grand public qui manque aux amateurs européens, voire aux amateurs internationaux. Ceci à Paris, à Milan, à Francfort, à Bruxelles, à Londres, à Monaco ou ailleurs, pourvu qu’il y ait une gare, un aéroport, des hôtels, des espaces aménageables et des halles pour accueillir tout le monde. On ne peut que constater la passion grandissante du public pour les enchères horlogères et la fréquentation croissante des sites marchands qui proposent des montres de seconde main : on prend alors la mesure d’une demande totalement insatisfaite, sans la moindre offre de cristallisation autour d’un quelconque rendez-vous physique quelque part en Europe. Le temps que ça monte au cerveau des andouilles qui managent le groupe MCH, il faudra du temps…

Quand on découvre la nullité arrogante de l’annonce faite par MCH pour l’annulation de Baselworld 2022, quand on prend la mesure de la vacuité des excuses adressées à la communauté horlogère et quand on découvre la prétention de cette équipe de médiocres à réécrire l’avenir de l’horlogerie, on se tape la tête contre les murs. On se dit qu’il y a une justice immanente et que ces gens-là ne méritent plus la moindre considération. Laissons donc les morts enterrer les morts [le groupe MCH peut-il survivre longtemps sans Baselworld ? La question est posée]. Laissons les marques s’organiser autrement à Genève pour se retrouver entre professionnels, dans une floraison de salons plus clairement segmentées que l’ancien kombinat caporalisé de Baselworld. Laissons les amateurs – européens dans un premier temps, mais les autres suivront – se retrouver pour communier entre passionnés autour de montres immédiatement disponibles, qu’il s’agisse d’icônes légendaires ou de modestes témoignages de l’âge d’or : 150 millions de francs suisses récemment dépensés en quatre jours d’enchères à Genève, c’est un indicateur puissant ! Déjà 12 à 15 milliards de francs d’activité annuelle pour les acteurs du marché secondaire : c’est une demande tout aussi puissante. L’avenir n’est écrit nulle part, mais il semble évident qu’il n’est plus du tout gravé dans le marbre du vieux monde bâlois… 

NOS CHRONIQUES PRÉCÉDENTES

Des pages en accès libre pour parler encore plus cash et pour se dire les vérités qui fâchent, entre quatre z’yeux – parce que ça ne sortira pas d’ici et parce qu’il faut bien se dire les choses comme elles sont (les liens pour les trente premières séquences sont à retrouver dans l’épisode #30 ci-dessous)…  

❑❑❑❑ SANS FILTRE #37 Les supposés « maîtres du temps » ont décidément perdu tout sens du tempo (Business Montres du 3 novembre )

❑❑❑❑ SANS FILTRE #36 « Les montres ne s’usent que si l’on ne s’en sert pas ! » (Business Montres du 21 septembre)

❑❑❑❑ SANS FILTRE #35 « Mais non, mais non, il ne se passe rien d’alarmant du côté de la Chine néo-communiste ! » (Business Montres du 14 septembre)

❑❑❑❑ SANS FILTRE #34 « Le con-cerné se reconnaît toujours » (Business Montres du 2 septembre)

❑❑❑❑ SANS FILTRE #33 « Un excellent motif d’émerveillement horloger » (Business Montres du 19 août)

❑❑❑❑ SANS FILTRE #32 « Pourquoi les horlogers suisses ont-ils eu si peur de Napoléon ? » (Business Montres du 7 mai)

❑❑❑❑ SANS FILTRE #31 « Désolé, mais le compte n’y est pas » (l’ahurissante inflation de nos temps d’écran : Business Montres du 10 novembre 2020) 

❑❑❑❑ SANS FILTRE #30 « Mais veulent-ils vraiment que le salon Watches & Wonders 2020 ait vraiment lieu en 2021 ? » (Business Montres du 28 octobre 2020)


 


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